La guerre d'Israël contre les Palestiniens n'a pas commencé le 7 octobre 2023, mais il y a 100 ans

Par Rachad Antonius

L’auteur est professeur associé à l’UQAM.Publié le 27 oct. 2023 dans Le Devoir

Une curieuse amnésie frappe certains représentants et représentantes de la classe politique canadienne et québécoise. À les écouter, on croirait que l’histoire du conflit au Proche-Orient a commencé le 7 octobre 2023. Les médias reflètent souvent cette perception. La plupart des discussions sur l’un ou l’autre des aspects du conflit commencent inévitablement par « depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre… ».

Or, dans ce conflit, comme l’a dit le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, il faut mettre les choses dans leur contexte historique. Cette violence se déploie dans le cadre d’une guerre de cent ans qui vise l’appropriation de la Palestine et l’expulsion de ses habitants autochtones.

L’occupation de la Cisjordanie et de Gaza dure depuis 56 ans. C’est une occupation militaire, maintenue par la violence de l’armée d’occupation. Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, OCHA, il y a eu, entre 2008 et septembre 2023, donc avant l’attaque du Hamas du 7 octobre, 6407 Palestiniens tués et 308 Israéliens tués. Soit 20 fois plus de Palestiniens tués que d’Israéliens.

Quand il n’y a pas ou peu de victimes israéliennes et que ce sont les Palestiniens seuls qui sont tués, les grands médias parlent « d’accalmie ». La mort de civils palestiniens ne fait généralement pas les manchettes, pas plus que les maisons détruites, les emprisonnements de centaines de mineurs sans accusation, les descentes de colons juifs sur les villages palestiniens et les destructions qu’ils causent aux oliviers centenaires sous la protection de leur armée, etc.
L’humiliation est quotidienne. Plusieurs organisations de droits de la personne israéliennes documentent ces violations en détail. Leurs rapports sont largement ignorés par la presse internationale. Human Rights Watch et Amnistie internationale ont qualifié ce système d’« apartheid », un aspect occulté de la politique israélienne envers les Palestiniens.

Que ceux qui en doutent écoutent le témoignage du Dr Gabor Maté, médecin canadien juif rescapé de l’Holocauste.

« J’ai visité les territoires occupés […] pendant la première Intifada. J’ai pleuré tous les jours pendant deux semaines à cause de ce que j’ai vu. La brutalité de l’occupation, le harcèlement mesquin, son caractère meurtrier. L’incendie ou l’abattage des oliveraies palestiniennes, le déni des droits à l’eau, les humiliations. Et cela continue. Et la situation est bien pire qu’à l’époque. »

Mais l’empathie de certains politiciens est plutôt sélective.

Ces violences s’insèrent dans un projet global d’appropriation de la terre de Palestine par des immigrants juifs européens d’abord, auxquels se sont joints, quelquefois contre leur gré, des Juifs d’ailleurs, au détriment des habitants autochtones, les Palestiniens.

Il s’agit là d’un projet centenaire, bien documenté par des historiens israéliens tels qu’Ilan Pappe (Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2008). Dans la guerre qui a suivi l’établissement de l’État d’Israël en 1948, 75 % des Palestiniens ont été expulsés de leurs villages et de leurs maisons, et n’ont jamais été autorisés par Israël à retourner chez eux, en dépit de la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU qui confirmait leur droit de retour. Ce premier volet du nettoyage ethnique a été suivi par un deuxième volet, moins important, dans la guerre de 1967.

Il semble bien que la plus récente guerre contre les Palestiniens de Gaza vise à poursuivre ce nettoyage ethnique, en forçant par la violence les Palestiniens à quitter définitivement le nord de Gaza. Gabor Maté poursuit : « […] il n’aurait pas été possible de créer cet État juif exclusif sans expulser ou opprimer la population locale. Il s’agit de la plus longue opération de nettoyage ethnique des XXe et XXIe siècles. Elle se poursuit encore aujourd’hui ».

C’est l’oubli de cette histoire qui fonde l’indignation sélective face au crime de guerre commis par le Hamas le fameux 7 octobre. La guerre qui se déroule sous nos yeux n’est pas entre Israël et le Hamas, comme le veut le récit israélien, devenu dominant au sein des élites politiques et médiatiques au Canada, au Québec et en France. L’étendue des violences et l’identité des victimes montre bien que c’est n’est pas une guerre entre le Hamas et Israël, mais bien une guerre contre l’ensemble des Palestiniens.

C’est cette mise en contexte qui manque cruellement au débat actuel, et qu’Antonio Guterres a voulu rappeler. Il aura sans doute un prix politique à payer pour avoir fait preuve d’intégrité morale. Mais c’est la population civile de Gaza qui paiera le prix le plus élevé, car Israël a déjà commencé à étouffer encore plus la population de Gaza, pour « punir » l’ONU de ne pas avoir adhéré totalement à son discours colonial.

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